Le 22 avril, Orygeen vous proposait son analyse de l’impact de la crise du coronavirus sur les prix de l’électricité et du CO₂ en Europe (voir notre analyse). Trois semaines plus tard, alors que la France sort officiellement de son confinement, il nous a semblé intéressant de faire le point.
Les prix de l’électricité
Après avoir atteint leur niveau le plus bas depuis 2 ans le 19 mars, à 37,8 EUR/MWh, les prix des contrats forward 2021 ont enregistré une reprise progressive depuis avril.
Même si les prix oscillent quotidiennement, ils ne sont pas redescendus en dessous du niveau plancher de 40 EUR/MWh depuis début avril, et continuent leur progression.
Les participants au marché ont souligné la faiblesse des prix du carbone comme un facteur important influençant les prix sur avril.
La pression sur les prix risque de se poursuivre à court terme en raison de l’impact de la réduction de la demande liée aux mesures de confinement, à la crise économique et conjugué à la faiblesse des prix des matières premières. Mais le consensus des experts de marché est que la pression ne sera que périodique.
Les prix du CO2
Depuis 2019 et jusqu’au premier trimestre 2020, le prix de la tonne de CO2 s’établissait autour de 25 euros. Suite à la crise du Covid-19, ce prix s’est rétracté pour atteindre son niveau le plus bas de 14 EUR/tCO2. Depuis la remontée au-dessus des 20 €/tCO2 enregistrée début avril, il continue à osciller sur la dernière quinzaine atteignant 19,4 EUR/tCO2 au 12 mai 2019.
Il existe une tension sur la demande de carbone du fait de l’activité industrielle ralentie, voire arrêtée dans certains secteurs, face à une offre importante de quotas d’émission sur le marché. En outre, le faible prix actuel du gaz, très corrélé à celui du pétrole, a boosté son utilisation pour la génération d’énergie, en remplacement du charbon, réduisant les émissions de CO2 et, de fait, la demande en quota CO2.
L’instabilité des prix des quotas est notamment liée à l’attente des décisions de la Commission européenne concernant le nombre de quotas sur le marché conduite chaque année le 15 mai (dans le cadre de la Réserve de Stabilité du Marché ou RSM). Pour l’année 2020, si le nombre de quotas en circulation dépassait 200 millions (article 5 de la décision 2015/1841), 24% des quotas pourraient ainsi être placés dans la RSM.
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Article du 22/04
Apparu en Chine en décembre 2019, le coronavirus SARS-CoV-2 a eu un impact global et profond sur les sociétés, les politiques et l’ensemble de l’économie. Tous les secteurs ont été touché. Le marché de l’énergie, et en particulier celui de l’électricité, n’y échappe pas. L’annonce du confinement prononcé par le Président de la République le 16 mars a en effet eu un impact immédiat sur les prix de gros de l’électricité. Cela nous amène à nous poser les questions suivantes :
- Quel est l’impact à court et moyen terme de cette pandémie sur le marché de l’électricité ?
- Est-ce une opportunité pour les entreprises de réduire leurs coûts énergétiques ou au contraire une menace sur leurs approvisionnements à moyen-long terme ?
- Cet effet est-il durable ?
Nous verrons dans ce qui suit une analyse de l’évolution à court et moyen terme des prix de l’électricité sur les marchés européens et les sous-jacents entraînant ces changements.
L’impact de la pandémie sur les prix de l’électricité
Évolution des prix à court terme au temps du COVID-19
La pandémie du COVID-19 a entrainé dans son sillage une réduction des prix de l’électricité sur les marchés européens depuis janvier et un effondrement à partir du 10 mars 2020, juste avant l’annonce du début de confinement et des mesures restrictives.
Malgré ces bouleversements, il n’a fallu qu’une semaine pour que les marchés se stabilisent après l’effet de l’annonce et que le mouvement s’inverse (figure 1). Les prix de l’électricité ont amorcé une hausse progressive depuis début avril (inflexion observée le 16/04 en raison des vacances de Pâques), après une période d’adaptation variable pour chaque pays Européen. Une reprise des prix est observée sur tous les marchés européens pour atteindre petit à petit les niveaux d’avant crise.
Nous observons également que le prix du gaz est très bas puisqu’il suit celui du pétrole, lui-même en chute libre comme observé ces derniers jours (des prix négatifs enregistrés aux USA au 20 avril 2020) en raison des mauvaises perspectives de l’économie mondiale, et ce malgré les coupes annoncées par l’OPEP. Cependant, comme on peut le voir sur les graphes, cette baisse n’a pas incidence sur les prix de l’électricité.
La réduction du coût de production du kWh thermique ne modifiera pas le principe selon lequel l’appel des centrales du réseau se fait par ordre de coût marginal croissant. Ainsi les énergies renouvelables (hydraulique, éolien, solaire) à coût de production variable le plus faible sont prioritaires pour satisfaire la demande d’électricité et sont suivies par les centrales nucléaires.
Les centrales au gaz et au charbon présentant un coût variable beaucoup plus élevé ne servent qu’à répondre au pic de consommation. Or à la suite de la réduction de l’activité économique et des mesures de confinement mises en place, on observe un écrêtement des pointes de consommation. Ceci engendre un aplatissement de la courbe de la demande d’électricité (exposé en 2.2), accélérant ainsi le recul des énergies fossiles dans la génération d’électricité et augmentant leur sensibilité à la baisse de la demande.
Nous avons identifié différents facteurs qui ont influencé les évolutions à court terme (sur les dernières semaines). Nous en analyserons principalement deux :
- la demande d’électricité,
- le prix du marché du carbone.
Une chute enrayée de la demande d’électricité en Europe
La demande d’électricité est considérée comme un indicateur en temps réel des mouvements du marché. Après avoir connu une baisse, cette demande commence à se reprendre.
La comparaison entre 2020 et 2019 des valeurs de la consommation hebdomadaire des jours ouvrés aux heures de pointe permet d’évaluer l’évolution de l’activité économique. Les valeurs de consommation ont été corrigées des effets de la température entre 2019 et 2020.
Les cartes montrent en général une baisse de la consommation électrique en 2020 par rapport à 2019 à des niveaux différents par pays pour la semaine 5 (30 mars -3 avril) et la semaine 6 (du 6 au 10 avril).
Cependant, on observe un ralentissement de la baisse pour certains pays comme la France (de -15% en semaine 5 à -12% en semaine 6), l’Italie (-33% à -28% entre la semaine 5 et 6) et l’Allemagne où la situation sanitaire s’améliore. À l’inverse, dans d’autres pays comme l’Espagne, les consommations électriques continuent de baisser du fait du durcissement des mesures de confinement.
On observe sur la figure 3 (consommation électrique journalière moyenne de chaque semaine en 2020 en % de 2019) qu’à partir de la semaine 5 (du 30 mars au 5 avril), la tendance baissière de la demande d’électricité, enregistrée depuis que les mesures pour arrêter la propagation du coronavirus ont commencé, s’est stabilisée voire inversée sur la plupart des marchés européens.
Cependant, dans le cas de l’Espagne, nous notons une nouvelle baisse de la demande, en raison de l’augmentation des restrictions, annoncée le dimanche 29 mars, pour essayer d’aplanir la courbe de contagion par COVID‑19. Il faut remonter 17 ans en arrière pour observer des niveaux de demande aussi bas dans ce pays.
Le prix du co2 à son plus haut depuis trois semaines
Le système d’échange de quotas d’émission de l’UE (ETS) est certainement l’instrument de politique climatique le plus exposé au choc du COVID-19. Le prix du carbone s’est enfoncé, atteignant son plus bas niveau (14,34 euros la tonne à la mi-mars) depuis 21 mois (novembre 2018), à la suite de la mise en place des mesures de confinement de la population.
Avec le ralentissement de l’économie et le gel de certaines activités non essentielles, nous avons observé une baisse des émissions économiques et industrielles. Cette chute des émissions de CO2 a entraîné un effondrement du marché du carbone. Cependant la chute est enrayée puisque les prix européens de carbone sont remontés au-dessus de la barre des 21 euros la tonne pour la première fois depuis trois semaines (Figure 4).
Le prix du carbone a fait un bond de 49% depuis mi-mars.
Avec la reprise progressive de l’économie mondiale suite au déconfinement, les industriels auront besoin de plus en plus de certificats carbones pour compenser leurs émissions et avec une augmentation de la demande, le prix devrait revenir au moins au niveau d’avant crise.
Évolution des prix à moyen terme
Afin d’esquisser la tendance moyen terme du marché de l’électricité, il est important d’observer les transformations des facteurs clés qui détermineront les prix futurs.
Notre analyse conclut à une tendance moyen terme haussière. En voici quelques clé sous-jacentes :
- Évolution du mix énergétique : la poursuite de la décarbonation de l’énergie en se dirigeant vers des énergies vertes et la reprise du marché carbone,
- Politique européenne : le Conseil de l’UE a déclaré que le bloc devrait « commencer à préparer les mesures nécessaires pour revenir à un fonctionnement normal de nos sociétés et de nos économies et à une croissance durable, intégrant entre autres la transition verte et la transformation numérique, ». Certains appellent même au rehaussement des objectifs climatiques pour 2030, de manière à cibler une baisse de 50% à 55% des émissions de CO2 par rapport à 1990, au lieu des 40% prévus.
- Évolution de la consommation : la croissance de la demande d’énergie résultant de la relance économique pour dépasser la récession annoncée en 2020 par l’EU.
- Inflation : la hausse prévue par les institution financières et l’Union Européenne dans les prochaines années.
Malgré le choc enregistré à la suite des décisions de confinement dues à la crise sanitaire du COVID-19 en Europe, les prix de l’électricité montrent une reprise durable. Cette reprise est observée sur quasiment tous les marchés Européens.
Pour les acheteurs les plus avisés, l’effet de la crise sanitaire a représenté une opportunité de prise de position à très bon prix, mais la fenêtre s’est quasiment refermée. Selon les différents organismes de prospective, les prix ont vocation à revenir au niveau d’avant crise, voire à progresser avec l’effort de relance économique.
L’orientation des entreprises vers des énergies renouvelables de plus en plus compétitives via des modes de contractualisation ouvrant des possibilités de prix long terme, tels que les Power Purchase Agreement, peut leur permettre de concilier lutte contre le changement climatique et diversification du risque face à la volatilité des marchés.
Sources :
- bruegel.org / Par : BEN MCWILLIAMS et GEORG ZACHMANN (Figures 2 et 3)
- Orygeen (Figures 1 et 4)