Publié le 11 Décembre 2019
[ssba-buttons]Après les revendications des employés des grandes entreprises de la Silicon Valley au sujet de contrats passés avec l’armée, du traitement réservé aux femmes et minorités ou de la reconnaissance faciale, l’environnement suscite à son tour l’engagement des salariés.
Ils sont plus de 9000 à avoir signé une lettre à l’attention de Jeff Bezos pour l’exhorter à adopter des mesures “pro climat” et répondre ainsi aux immenses enjeux induits par l’augmentation des émissions de CO₂. Ce mouvement est né à la fin de l’année 2018. Une trentaine de salariés-actionnaires d’Amazon présentent alors un plan d’actions destinées à réduire l’impact environnemental du géant américain. Ce plan devait être voté lors d’une assemblée générale prévue en mai 2019.
La “Lettre publique à l’intention de Jeff Bezos et du conseil d’administration d’Amazon” est aujourd’hui le plus grand mouvement mené par des employés de la tech pour des revendications climatiques. Dans le secteur, il est pourtant rare d’être ouvertement critique envers son employeur. Seuls quelques activistes avaient jusqu’alors pris ce risque. Les membres du groupe Amazon Employees for Climat, eux, signent tous nominativement.
Les engagements paradoxaux d’Amazon
Expliquant que la multinationale dispose des ressources nécessaires pour améliorer sa performance énergétique et réduire son empreinte CO₂, le document déplore aussi le manque de transparence dans les objectifs pris par l’entreprise, et le fossé entre les engagements annoncés et les actions réellement mises en place au sein de l’empire Amazon.
À l’échelle planétaire, le géant américain revendique alors 66 projets d’énergie renouvelable susceptibles de générer 1 342 MW et de fournir ainsi plus de 3,9 millions de MWh d’énergie par an. Or selon les signataires de la lettre, l’objectif d’utiliser 100% d’énergie renouvelable n’est pas clairement défini, aucun calendrier ni aucun plan d’action n’a été rendu public.
Le plan Shipment Zero, dont l’objectif est de neutraliser à 100% l’impact carbone des livraisons d’Amazon, table bien sur une réduction de 50% de l’empreinte carbone d’ici 2030. Mais il est facilement critiquable : neutraliser l’impact carbone ne signifie pas forcément réduire ses émissions. Amazon ne s’est-il pas, par exemple, doté au printemps 2019 de 20 000 nouvelles camionnettes diesel pour assurer les livraisons du “dernier kilomètre” ?
Dans leur lettre ouverte, les salariés d’Amazon dénoncent également les actions de soutien de la multinationale. Le géant a pu en effet financer de nombreuses organisations de développement durable, mais aussi des membres du Congrès américain opposés à la législation sur le climat. Autre exemple, Amazon a mis en place un système de cloud AWS pour soutenir l’industrie pétrolière et gazière, l’objectif étant d’accélérer l’extraction de pétrole et de gaz, et d’optimiser sa production et sa rentabilité.
“Notre obsession des clients nécessite une obsession du climat”
Concrètement, pour faire d’Amazon un “leader du climat” mondial, les signataires de la lettre proposent 5 solutions à intégrer à sa stratégie :
- rendre public des objectifs précisément phasés,
- définitivement abandonner les énergies fossiles,
- systématiquement prendre en compte l’impact des décisions stratégiques sur l’environnement,
- réduire l’impact d’Amazon sur les communautés les plus vulnérables,
- soutenir les diverses politiques climatiques prônées sur toutes les échelles et se séparer des acteurs qui freinent le changement climatique,
« Nous avons le pouvoir de déplacer des industries entières et d’inspirer une action mondiale en faveur du climat”, concluent-ils.
Vendredi 20 septembre 2019, trois jours avant le sommet pour le climat de l’ONU organisé à New-York, des employés d’Amazon, de Google et de Microsoft ne sont pas venus travailler afin de pousser leurs dirigeants à prendre la gestion de la crise climatique à bras le corps. Depuis sa création en 1994, c’était la toute première fois que des salariés du siège social de Seattle d’Amazon se mettaient en grève, une grande partie ayant pris un jour de congé pour ce faire.
Vers un vrai engagement climatique ?
Sous pression, le 19 septembre, Jeff Bezos a présenté “the climate pledge” (l’engagement climatique). Son objectif est de faire d’Amazon un acteur plus respectueux de l’environnement. L’entrepreneur américain s’est ainsi engagé à ce que le géant de la Tech parvienne à la neutralité carbone d’ici 2040, soit dix ans avant la date limite proposée par l’accord de Paris.
De nombreuses mesures ont déjà été annoncées, comme l’achat de 100 000 camionnettes électriques (opérationnelles dès 2021) ou l’investissement de 100 millions de dollars pour “restaurer et protéger des forêts, zones humides et tourbières” dans le monde. Pour pouvoir présenter un bilan carbone neutre, Amazon désire également alimenter ses infrastructures par 80% d’énergie renouvelable d’ici 2024, puis par 100% d’ici 2030.
Ses engagements seront mesurés sur un site en ligne, et Jeff Bezos espère publiquement que son initiative soit suivi par d’autres groupes. Si les “employés d’Amazon pour la justice climatique” estiment que ces annonces sont une “grande victoire”, ils les considèrent néanmoins toujours insuffisantes, Amazon continuant par exemple à travailler avec des entreprises elles-mêmes polluantes.
Le plus intéressant est peut-être que leur mobilisation s’inscrive désormais dans un mouvement plus large au sein des géants de la Tech, notamment chez Google, Facebook, Microsoft, Twitter.
Une génération Z engagée pour le climat
Et si les géants américains commencent à se mobiliser, c’est qu’ils prennent conscience de l’impact sur leur image. Une étude réalisée en 2018 par Yougov et Monster sur des salariés de 18-24 ans en France, en Allemagne, au Royaume-Unis et aux Pays-Bas a ainsi estimé que 71% d’entre eux préfèrent travailler pour une entreprise qui partageait leurs valeurs, quitte à refuser des propositions d’emploi.
Selon une autre étude réalisée aussi en 2018 par le centre d’expertise sur les nouvelles générations de l’EDHEC, 50% des futurs diplômés considèrent le respect des principes du développement durable et la démarche RSE de l’entreprise comme un critère de choix pour y travailler (étude réalisé sur 5165 étudiants en fin de deuxième année d’études supérieure).
Initiative née du Manifeste Étudiant pour un Réveil Écologique, un “Réveil écologique” a été lancé en septembre 2018 et déjà été signé par près de 30 000 étudiants issus de plus de 400 établissements de l’enseignement supérieur français, réunis par une même volonté d’agir face au défi écologique. Actuellement en stage au sein de l’Institut Orygeen, association à but non lucratif soutenue par Orygeen et dont la mission est d’inciter les industriels à agir sur leur performance énergétique, Marguerite d’Estienne d’Orves a signé le 5 novembre 2019 “Mon appel pour un réveil écologique”. Comme 2000 étudiants, jeunes diplômés et professionnels français, elle interpellait alors ses futurs employeurs, exigeant d’eux une prise en compte sérieuse de l’urgence écologique.
Même si les signataires de la Lettre ouverte à Jeff Bezos ne représentent finalement qu’un peu plus de 1% de la masse salariale d’Amazon, l’intérêt des entreprises à s’engager pour le climat n’a jamais été aussi évident. La gestion intelligente des ressources planétaires, notamment énergétiques, est déjà pour elles un facteur de durabilité en soi. La motivation de leurs équipes, et l’attraction des nouveaux talents comment à être des enjeux bien réels. Bien avant d’être une question d’innovation, de différenciation ou de rentabilité, l’amélioration de la compétitivité est une question humaine.